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Crues : les lacs de Seine vont-ils sauver Paris ?
« Fluctuat Nec Mergitur » : telle est la devise de la ville de Paris (« elle flotte mais ne coule pas »). Plus que jamais
Mais les crues de la semaine dernière ont prouvé que de fortes précipitations pouvaient entraîner des débordements majeurs au printemps sur les affluents de la Seine, capables de faire réagir le fleuve jusqu’à la capitale. Si l’onde de crue s’est amortie en arrivant à Paris, l’inquiétude est de mise au vu des intempéries attendues cette semaine. De nouvelles fortes pluies risquent de faire déborder les affluents de la Seine, pouvant conduire à une situation potentiellement aussi critique voire plus que la semaine dernière, en raison des sols qui sont saturés et des lacs de rétention pleins à ras bord.
Les grands lacs vont-ils submerger la capitale ?
Depuis les années 1960, une politique de grands travaux a conduit à la création de grands lacs de rétention des eaux des affluents de la Seine descendant du plateau de Langres et du Morvan, en amont de Paris : l’objectif étant de contenir les eaux lors d’épisodes pluvieux importants afin d’éviter (ou de retarder) les crues vers Paris, et à l’inverse de maintenir un niveau d’eau suffisamment élevé pendant l’étiage estival (période de basses eaux), notamment pour la navigation fluviale. Ces lacs ont un rôle majeur dans l’irrigation de la Champagne sèche et constituent aussi un attrait touristique indéniable en raison de leur immensité (plages, navigation). Ces lacs-réservoirs sont capables d’abaisser le niveau de la Seine à Paris de 50 à 70 cm en cas de crue.
Les plus connus et les plus grands sont ceux du Der-Chantecoq (lac-réservoir mise en service en 1974 et situé aux confins de la Marne et de la Haute-Marne) et de la forêt d’Orient (Aube). Celui du Der, régulateur de la Marne, est le plus grand lac artificiel de France et même d’Europe (hors lacs de barrages hydroélectriques) avec une superficie de 4800 Ha, retenant 350 millions de m3 d’eau (et jusqu’à 364,5 millions de m3 en capacité maximale). Après l’épisode pluvieux de la fin avril – début mai, le lac du Der est actuellement plein à ras-bord, débordant même légèrement sur les quais des ports de plaisance et dans certains herbages limitrophes (ce qui constitue en quelque sorte une soupape de sécurité à la montée des eaux) . La capacité maximale n’est pas encore atteinte mais la marge est faible. Selon des sources locales, cette situation ne nécessite pas des lâchers d’eau, mais désormais le lac est isolé : il n'y a plus d'entrée d'eau dans le le lac et l'eau de la Marne coule dans son lit naturel sans passer par le lac, ce qui ne régule plus son débit et ce qui contribue d’ailleurs au maintien d’un niveau élevé de la Marne.
Même situation sur le lac de la forêt d’Orient (rétention de la Seine amont), dont le remplissage est proche du niveau maximal déjà atteint l’année dernière à la même époque (avec un mois de mai qui avait été également très pluvieux, avec des valeurs proches de ce que l’on vient de connaître, entre 100 mm et 130 mm sur le Morvan en mai 2012). On s’approche du seuil des 200 millions de m3 d’eau mais il y a encore une marge avant le pic de mai dernier. Cependant, là aussi, on s’attend à dépasser " l’objectif de gestion " dans les prochains jours. Ces hauts niveaux expliquent pourquoi la Seine champenoise reste en crue durable, conjugués à la remontée des nappes phréatiques à l’affleurement (c’est à dire au niveau du sol).
Les volumes du lac de Pannecière dépassent cette fois-ci largement le seuil de l’année dernière, tandis que ceux du Temple et d’Amance (sur l’Aube) s’apprêtent à dépasser les 160 millions de m3, soit autant que l’année dernière.
On constate que l’épisode pluvieux remarquable de la semaine dernière a conduit à une saturation de ces grands lacs dont les niveaux étaient déjà très élevés depuis les pluies et fonte des neiges du mois de mars.
Quelle réaction redouter cette semaine ?
De tels niveaux atteints en mai ne sont donc pas rares. Rappelons que le mois de mai est le mois le plus pluvieux de l’année sur le bassin parisien et le Morvan, où la Seine et ses principaux affluents prennent leur source. Mais ces hauts niveaux, alors que nous ne sommes qu’à la mi-mai, interviennent dans un contexte météorologique qui ne s’améliore pas puisque l’on attend un nouvel épisode très pluvieux sur ces mêmes régions dès mercredi et qui pourrait persister jusqu’à samedi. A ce jour, les cumuls envisagés pourraient être légèrement inférieurs à ceux de la première semaine de mai ou à peu près similaires : rappelons encore qu'il était tombé l’équivalent de 3 semaines de pluie en une semaine sur le Morvan. On craint un scénario à peu près identique cette fois-ci.
Les deux principales inconnues sont : la capacité des sols saturés à absorber un minimum d’eau (aidée en cette saison par le phénomène d’évapotranspiration), et la capacité des grands lacs – réservoirs à retenir une partie de cet apport supplémentaire. Les modèles numériques utilisés jusqu’à présent n’ont pas encore été confronté à une telle situation.
Le spectre de 1910 ?
La crue centennale de la Seine en janvier 1910 a marqué durablement les esprits. Elle signifie plus particulièrement que sa période de retour statistique est d'une fois tous les 100 ans ou bien une probabilité d’apparition sur une année de 1%. D’ailleurs, il n’y a même pas 2 chances sur 3 d’observer une crue centennale tous les 100 ans. De même, sa survenue une année n’exclut pas sa répétition l’année suivante car les épisodes pluvieux n’ont pas de régularité sur une échelle d’un siècle).
La crue de la Seine à Paris en 1910 était liée à la conjonction de 3 phénomènes : de très fortes pluies (avec des cumuls 3 fois plus importants que ceux attendus sur ce mois de mai) intervenants sur des sols gelés, avec une fonte de la neige et des crues majeures des affluents de la Seine, notamment l’Yonne, le Loing et le Grand Morin. Ces trois pics de crue ont convergé en même temps vers l’aval pour aboutir concomitamment dans la capitale.
A cette époque, il n’y avait aucune infrastructure de rétention des eaux : la crue fut donc brutale. A l’heure actuelle, le rôle des grands lacs de rétention est de limiter l’impact d’une crue arrivant sur la capitale en écrêtant l’onde de crue (en l’étalant dans le temps). Mais en cas de trop-plein de ces lacs, que se passerait-il ? On peut logiquement imaginer qu’une crue majeure ne serait pas évitable, mais serait retardée, permettant de prendre toutes les mesures de précaution et d’évacuation éventuelle dans les zones urbanisées. Mais au final, en cas de crue centennale, le scénario serait catastrophique : de récentes études indiquent que Paris serait plus vulnérable à une crue de type 1910 en raison de l’extension de l’urbanisation ; 4 à 5 millions d’habitants seraient impactés dont plus d’un million privés d’électricité et d’eau potable pendant plusieurs semaines. Un retour à la normale prendrait plus d’un mois et demi, et tout cela pourrait coûter entre 20 et 40 milliards d’euros.
En conclusion, insistons sur le fait que les conditions ne sont pas du tout les mêmes que celles qui ont aboutit à la crue de 1910, qui est une crue de type « hivernal » ; cette fois-ci, nous sommes sous la menace de crues printanières, plus amorties par l’évapotranspiration mais qui interviennent dans un contexte de saturation des sols et de remplissage quasi maximal des lacs de rétention. En fonction de l’évolution des précipitations de la semaine à venir, la situation peut devenir préoccupante, voire critique ; ainsi, en Europe centrale, des crues historiques s’étaient produites sur le Danube, l’Oder et l’Elbe lors de l’été 2002 suite à de très fortes pluies sur l’Autriche et l’Allemagne, submergeant par exemple les villes de Dresde et de Prague. Le 24 mai 2010, la Pologne était en proie à des crues historiques (l’Oder et la Vistule), faisant 15 morts et entraînant des milliers d’évacuation.