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Changement de temps en Amérique du nord : des conséquences sur l'Europe?
Alors que l’Europe de l’ouest vient de connaître l’un des hivers les plus doux depuis 1900 (le 3ème le plus doux pour la France), marqué par une pluviométrie record et par une succession impressionnante de tempêtes, l’Amérique du nord sort à peine de son hiver le plus froid depuis 40 ans. Ce parallélisme n’est pas un hasard, les masses d’air se comportant...
Dès la mi-décembre dernier, le Québec et le nord-est des Etats-Unis étaient confrontés à une vague de froid brutale : les records tombaient déjà au Québec avec –27°C à Montréal et –12°C à New-York. Cette situation allait s’empirer au fil des semaines, avec une succession ininterrompue de coulées d’air arctique, plongeant de plus en plus vers le sud et atteignant même le nord de la Floride. En même temps, après une décade de beau temps, l’Europe de l’ouest s’apprêtait à entrer dans un cycle infernal de vents forts, de pluies torrentielles et de douceur permanente avec la circulation des dépressions sur l’Atlantique nord en direction des îles britanniques et de la Scandinavie en passant par le nord-ouest de la France. A l’heure actuelle, la vague de froid américaine s’estompe et le calme revient en Europe. Ces deux phénomènes sont liés.
Le jeu des masses d'air : principe des vases communicants
En météorologie, « rien ne se perd, rien ne se crée : tout se transforme ». Il en va ainsi du jeu des masses d’air qui tendent à s’opposer pour finalement s’équilibrer. Nous en avons eu un cas d’école cet hiver avec un « effet domino » qui s’est opéré entre l’Amérique du Nord et l’Europe de l’ouest. On a beaucoup parlé à cette occasion du « vortex polaire », ce terme météorologique qui désigne une incurvation vers le sud du Jet Stream, ces vents de haute altitude qui ont canalisé alors les masses d’air glaciales vers le sud des Etats-Unis. Les années précédentes, cette ondulation du Jet Stream avait davantage concerné la Russie et une partie de l’Europe, nous apportant du froid et de la neige.
D’un côté, de l’air très froid s’écoulait de l’Arctique Canadien vers le nord-est des États-Unis et le Québec : cette situation fut responsable d’une vague de froid exceptionnelle qui s’éternisait. L’air glacial s’évacuant vers l’Atlantique, n’a eu de cesse de provoquer un conflit de masses d’air avec la douceur humide de l’océan. Ce fluide glacial s’est ensuite déporté vers l’est en raison des vents dominants entraînés par le jet stream, en engendrant le creusement des dépressions entre la côte Est américaine et l’ouest de l’Europe. Un véritable « rail » dépressionnaire s’est établi durablement entre les deux continents, remarquable par sa durée.
Ces dépressions toutes neuves entamaient alors leur traversée de l’Atlantique Nord vers les îles britanniques et la Scandinavie, influençant le temps de l’Europe de l’ouest. Il faut moins de 3 jours pour que ces dépressions arrivent à l’affilée au niveau de l’Irlande et de l’Écosse ; gorgées d’humidité, fortement creusées, elles entraînent alors une succession de forts coups de vent et de pluies torrentielles : plus de 35 dépressions se sont succédées, certaines engendrant de fortes tempêtes sur les îles britanniques.
Nos zones côtières du nord-ouest de la France n’ont pas connu de réelles tempêtes, comme ce fut le cas en 1989 / 1990, année assez comparable, car les centres dépressionnaires, emportés par les vents de sud-ouest, sont plutôt remontés vers les îles britanniques ; mais la houle générée sur l’océan Atlantique s’est propagée sur des milliers de kilomètres sous l’effet de l’énergie de ces grosses dépressions, formant des vagues monumentales jusqu’au Portugal et au Maroc (des creux de 16 à 20 m ont été plusieurs fois mesurés dans le golfe de Gascogne, ce qui est digne des vagues monstrueuses que l’on trouve dans l’océan Pacifique, vers Hawaï par exemple). Conjuguées aux grandes marées, ces vagues a répétition ont entraîné une érosion remarquable de notre côte aquitaine.
Le froid s’estompe d’un coté, l’anticyclone regonfle de l’autre
Actuellement, la vague de froid américaine s’estompe et régresse sur le Canada, sous l’effet d’un redoux qui remonte par le sud. Le dégel sera lent au Québec mais le nord-est des USA retrouve des températures « de saison ». Ainsi, le dynamisme atmosphérique s’affaiblit et le vortex polaire regagne ses latitudes habituelles, dans les parages de la baie d’Hudson. Par conséquent, le « moteur » qui propulsait les dépressions vers l’Atlantique puis vers l’Europe s’essouffle : les dépressions, moins rapides, remontent alors maintenant vers l’Ecosse et la Scandinavie (trajectoire habituelle), laissant regonfler l’anticyclone des Açores vers la France après deux mois et demi d’absence. Un beau temps plutôt doux s’installe pour quelques temps sur notre pays et nos voisins, avec un avant-goût de printemps.
Le froid peut-il alors redescendre sur l’Europe en avril ?
C’est une vraie question. Selon le principe des vases communicants, la fin du froid en Amérique du nord freine l’arrivée des dépressions océaniques : il serait assez logique que de l’air froid en profite pour descendre de l’Arctique vers l’Europe. Mais ce n’est pas aussi simple : d’une part, les réserves d’air froid sont plutôt minces désormais sur l’arctique, tout s’étant déjà écoulé sur l’Amérique du nord. Et puis surtout, la saison avance : avec l’allongement de la durée du jour, le réchauffement saisonnier finira par prendre le pas sur les menaces de froid.
Cela dit, la France n’est pas à l’abri d’un revers de médaille en avril : en cette période transitoire de l’année entre l’hiver et le printemps, tous les types de temps peuvent se produire : c’est d’ailleurs la tendance envisagée dans nos prévisions saisonnières : après un mois de mars encore doux et déjà printanier, de l’air frais et instable risque de débouler sur la France dès le début du mois d’avril, synonyme de giboulées voire même de neige fondue en plaine et de neige tardive sur nos reliefs. Il faudra donc surveiller ce qui se passe en Amérique du nord ces prochaines semaines, mais pas seulement.
Le parallèle Amérique du nord/Europe est-il systématique ?
Il ne faudrait pas croire que le parallélisme entre le temps en Amérique du nord et celui qui règne en Europe est aussi caricatural que cet hiver : ce serait trop facile. En effet, les cas sont fréquents où les hivers sont froids des deux cotés de l’Atlantique, comme ce fut le cas en 2010 – 2011, en 2005 ou encore en 1979. A ces moments-là, l’océan Atlantique était en phase « d’oscillation négative », présentant une anomalie de hautes pressions, ne permettant pas la circulation des dépressions entre les deux rivages ; ainsi, les hivers étaient aussi froids d’un coté que de l’autre.
En revanche, les années 1983, 1989 et 2014 sont en phase d’oscillation atlantique « positive », présentant une anomalie de basses pressions, facilitant la circulation rapide des dépressions. On parle donc d’une interaction « océan-atmosphère » car les deux sont étroitement liés pour aboutir à la situation que l’on vient de connaître. Même si le temps venait à se refroidir à nouveau en Amérique du nord, cela ne serait donc pas obligatoirement un signe de douceur et de nouvelles tempêtes pour l’Europe de l’ouest ; en fonction de l’évolution de l’indice nord-Atlantique, nos deux continents pourraient avoir froids en même temps pour le mois d’avril.
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