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Tempêtes du siècle : il y a 24 ans, Lothar et Martin dévastaient la France
En décembre 1999, ces deux tempêtes exceptionnelles ravageaient la France l'une après l'autre. La première, baptisée Lothar, a frappé les régions de la moitié nord le 26 décembre 1999, et la seconde, Martin, a balayé la moitié sud du territoire le 27. Cette concomitance de deux tempêtes successives d'une violence inédite leur a valu l'appellation de "tempêtes du siècle". Il s'agit de la catastrophe naturelle la plus meurtrière et la plus coûteuse en France métropolitaine.
Dans un contexte météorologique très perturbé dès le début du mois de décembre 1999, où plusieurs fortes tempêtes s'étaient déjà succédé accompagnées de pluies abondantes, le paroxysme des intempéries s'est produit pendant la période des fêtes, les 26 et 27 décembre.
Deux tempêtes d'une violence inédite se sont suivies sur notre pays. Lothar a traversé la moitié nord du pays le 26, et Martin a concerné la moitié sud le 27. Cette catastrophe naturelle fut responsable de 92 victimes en France. Les dégâts aux forêts ont été monumentaux, tandis que des milliers de kilomètres de route ont été ravagés. Les dégâts ont couté à la France l'équivalent d'un demi-point de P.I.B. (Produit Intérieur Brut), soit de 8 à 13 milliards d'Euros.
Décembre 1999 : forte activité dépressionnaire sur l'Atlantique
L'année 1999 a été caractérisée par la prédominance des flux d'ouest sur la France. Ce fut une année ventée, pluvieuse, très douce, marquée par des inondations (catastrophe de l'Aude en novembre). Le mois de décembre est marqué par des tempêtes et par des inondations notables au nord-ouest de la France : il s'agissait alors du mois de décembre le plus pluvieux depuis 50 ans.
Dans ce contexte, le flux océanique s'est accéléré après le 25 décembre. Le flux "zonal", très dynamique, était propice à la circulation rapide des dépressions selon un axe ouest / est, de l'océan vers l'Europe de l'ouest. L'air froid descendant d'Islande, se heurtant aux remontées d'air doux subtropical, était également propice au creusement des dépressions. A cette époque, les modèles numériques n'avaient pas la puissance de calcul actuelle, mais le modèle de la Météorologie Nationale avait tout de même mis en évidence les deux creusements des dépressions arrivant sur la France, nommées ensuite Lothar et Martin.
Un Jet stream d'une extraordinaire vitesse : 530 km/h
Le facteur aggravant a été l'extraordinaire vitesse du jet stream, ce vent de haute altitude qui circule plus ou moins rapidement à environ 8000 à 10000 m au-dessus de nos latitudes. Le jet stream connait souvent des variations d'altitude et de vitesse, responsable des changements de temps. Il entraîne dans son sillage les dépressions de surface et pilote les masses d'air. Au passage de Lothar et de Martin, le jet stream a accéléré pour souffler entre 400 et 530 km/h à 9000 m d'altitude au-dessus de Brest. En plus de cette vitesse exceptionnelle, le jet s'est abaissé vers le sol. Ce phénomène assez fréquent est appelé "anomalie de tropopause" (1) et renforce l'instabilité. Dans le cas des tempête de décembre 1999, l'abaissement du jet stream a permis son interaction avec les dépressions de surface. Cette synergie, appelée aussi "phasage" entre le jet Stream et la dépression de surface, conjuguée à la vitesse exceptionnelle du jet, a favorisé le creusement rapide des deux dépressions consécutives en arrivant sur la France (on parle de creusement explosif ou de "bombe météorologique")ce concours de circonstance est tellement rare qu'on parle donc des "tempêtes du siècle", mais dont l'occurrence pourrait même être millénaire.
Deux tempêtes exceptionnelles à la suite sur la France
Dans la nuit du 25 au 26 décembre 1999 et la matinée du 26, une première tempête exceptionnelle a balayé le nord de la France. Prénommée "Lothar", cette tempête arrivant par l'ouest a connu un creusement explosif sur la Bretagne. A cet égard, la variation du barographe de Brest est remarquable, avec une perte de 20 hPa en 5 à 6 heures, suivie d'une remontée aussi rapide, formant une courbe en "V". Elle s’est formée au large de Terre-Neuve avant de traverser l’Atlantique en moins de 24 heures. Elle a traversé la France de Brest à Rouen et au Luxembourg. Elle a dévasté, dans la nuit du 25 au 26 et dans la journée du 26 décembre 1999, le nord de la France, la Suisse, l'Allemagne et le Danemark, causant des dommages sans précédent avec des vents jusqu'à 272 km/h dans les Alpes bavaroises. La forte tempête liée à cette très profonde dépression a touché la Bretagne à environ 2h du matin et quitté notre territoire par l'Alsace à 11 heures ; elle s'est donc déplacée à plus de 100 km/h. Sa pression minimale est tombée à 960 hPa au niveau de Rouen. Les rafales maximales en France sont exceptionnelles par leur force et par la superficie du territoire concernée : 56% du territoire est touché par la tempête Lothar et 50% par la tempête Martin. 6% du territoire sont concernés par des vents supérieurs à 150 km/h au total.
Les vents les plus violents ont ravagé un couloir de 150 kilomètres de large (Bretagne Normandie/Champagne-Ardenne - Lorraine et l'Alsace en passant par le bassin parisien), avec des rafales ayant atteint 210 km/h au Pont de Tancarville (27) et 173 km/h à Paris-Orly. L'anémomètre du sommet de la Tour Eiffel s'est bloqué à 216 km/h. La tempête a poursuivi sa route vers l'Allemagne, provoquant des dégâts très graves, similaires à ceux que l’on observe après un cyclone tropical : forêts entières littéralement rasées, notamment dans les Vosges, et bâtiments entièrement détruits.
Compte-tenu des vents moyens (110 à 120 km/h) et des rafales maximales comprises entre 160 et 180 km/h, ces deux tempêtes ont atteint l'équivalent d'un ouragan de catégorie 1 sur les 5 niveaux que compte l'échelle de Saffir-Simpson. Mais la comparaison s'arrête là : il ne s'agissait aucunement d'un phénomène tropical, mais de dépressions très creuses des latitudes tempérées.
Une tempête millénaire ?
Cette tempête, par sa violence inouie et surtout par son extension géographique, a dépassé en intensité celle des 15 et 16 octobre 1987 ainsi que celle de janvier 1739 (même si on ne dispose pas de relevés précis des rafales de vents maximales enregistrées, mais eu égard aux dégâts et aux témoignages d'archives de l'époque). Notons cependant que pour le nord-ouest (Bretagne et Basse-Normandie), les rafales de vent avaient été plus fortes lors de la tempête d'octobre 1987, avec notamment 220 km/h à Granville et 140 km/h à Caen). A l'échelle européenne, il pourrait même s'agir de la plus forte tempête depuis celle de décembre 1703, dont les rafales auraient pu atteindre les 300 km/h à Londres, avec une submersion marine responsable de plus de 8000 morts.
Rafales maximales relevées le 26 décembre 1999 :
*210 km/h au pont de Tancarville (valeur non officialisée)
*173 km/h à Orly et à Saint-Brieuc
*169 km/h à Paris-Montsouris
*166 km/h à Alençon
*165 km/h à Colmar
*162 km/h à l'Île de Groix
*155 km/h à Metz
*144 km/h à Nancy , Strasbourg et Chartres
*140 km/h à Rouen
Deuxième tempête : Martin traverse la moitié sud de la France
Le lendemain, le 27 décembre 1999, une deuxième dépression baptisée Martin, tout aussi exceptionnelle, arrive à la suite de Lothar et ravage cette fois-ci les régions situées au sud de la Loire avec des dégâts très importants sur la Vendée, les Charentes, l’Aquitaine, le Limousin et le nord de l’Auvergne où les rafales sont comprises entre 130 et 180 km/h. Le maximal est atteint à l'Ile de Ré avec 198 km/h.
Cette deuxième tempête plonge davantage vers le sud selon une trajectoire allant de l'estuaire de la Loire jusqu'en Italie. Le mécanisme de sa formation est sensiblement le même que pour Lothar, avec un creusement explosif qui se traduit par une perte de 25 hPa en 9 heures en arrivant sur la France. Les rafales sont plus fortes que pour Lothar, avec un maximum à 205 km/h à Mandelieu (06), lorsque la tempête a déferlé en Méditerranée avec le creusement d'un minimum secondaire dans le golfe de Gênes. Sur la côte charentaise, l'anémomètre de la pointe de Chassiron (île d'Oléron) s'est bloqué à 198 km/h, mais on peut estimer des rafales proches de 200 à 210 km/h possibles sur cette zone.
Le passage de la tempête Martin a coïncidé avec la pleine mer de la nuit, dont le coefficient n'était que de 99, ce qui constitue déjà une marée de vive-eau. En conséquence, des phénomènes de surcotes et de submersions ont inondé de vastes zones en Charente-Maritime et du coté du bassin d'Arcachon. En remontant l'estuaire de la Gironde, la surcote a atteint 1,5 m, inondant partiellement la centrale nucléaire du Blayais (33), la mettant à l'arrêt.
Rafales maximales relevées les 27 et 28 décembre 1999 :
*198 km/h à la pointe du Chassiron (17)
*194 km/h à Ryan (17) et Conca (Corse)
*169 km/h à Colombier (07)
*166 km/h à Millau (12)
*158 km/h à Clermont-Ferrand (63)
*151 km/h à Leucate (11)
*148 km/h à Limoges (87)
Un bilan humain très lourd, des forêts détruites : la France ravagée
Ces deux tempêtes de décembre 1999 constituent la catastrophe naturelle la plus couteuse en France, et la plus lourde en pertes humaines avec 92 victimes. Au plus fort de la crise, plus de 3,45 millions de foyers étaient privés d'électricité. Outre les pertes humaines, les dégâts matériels les plus importants ont été pour les forêts, notamment en Aquitaine, mais aussi dans les Vosges et en Auvergne. 138 millions de m3 de chablis (arbres déracinés et cassés, soit l'équivalent de 4 ans de coupes de bois en France tombés d'un seul coup au sol) ont mis à mal la sylviculture française en dévastant l'équivalent de 500 000 hectares de forêts. Le coût total de ces intempéries est estimé entre 8 et 13 milliards d'Euros, soit l'équivalent d'un demi point de PIB.
Les dégâts en Ile de France liés au passage de la tempête Lothar du 26 décembre 1999
Un tournant dans la perception du risque météorologique
Ces tempêtes ont traumatisé la France à juste titre. Suite à leur passage, pourtant globalement bien prévu, elles ont suscité une profonde remise en cause de la communication concernant la "notion de risque". A cette époque, les "vigilances" météorologiques n'existaient pas malgré la présence de "bulletins spéciaux". D'autre part, les tous débuts d'internet ne permettaient pas non plus une diffusion de l'information aussi rapidement et massivement qu'à notre époque. Suite à ces événements, les Pouvoirs Publics ont mis en place en 2001 le service de Vigilances désormais bien connu, étoffé ensuite par "Vigicrues", le Service Officiel de surveillance des crues.
Tempêtes : quelle évolution en France avec le changement climatique ?
Enfin, la survenue de tempêtes d'une telle violence en France est-elle un indicateur d'un changement climatique? Cette question, régulièrement débattue lors d'événements météorologiques violents, fait l'objet de nombreuses études menées dans le cadre des effets du réchauffement climatique. Dans ce contexte, les relevés ne montrent pas une augmentation de la fréquence et de la violence des tempêtes en France. Depuis 1980, on s'aperçoit que la fréquence des tempêtes est cyclique, avec des oscillations décennales : ainsi, la décennie 1990 fut particulièrement agitée tandis que la décennie 2000 /2010 fut nettement plus calme pour la France métropolitaine. Les statistiques indiquent la survenue d'une tempête de grande ampleur tous les 10 ans (en janvier 1990, décembre 1999, février 2010). Quant au réchauffement climatique, rien n'indique que les tempêtes seraient plus nombreuses et plus fortes dans le futur (2).
Le bulletin de la Chaîne Météo du 26 décembre à 07h, pour le jour même de l'arrivée de Lothar.
(1) la limite de la troposphère descend sous l'effet d'une intrusion d'air stratosphèrique dense et froide dans la troposphère.
(2) Mission Jouzel
Sources : "La tempête du siècle" (Jean-Noël Salomon, Université -Bordeaux 3). Tempêtes de décembre 1999 (IGN). Tempêtes de décembre 1999 et bulletins climatiques (Météo France).