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Ski et réchauffement climatique : un avenir incertain pour les stations de moyenne montagne
Le constat est sans appel. Au cours des dernières décennies, la durée de l'enneigement en montagne a nettement diminué tandis que les glaciers reculent progressivement sous l'effet de la hausse des températures.
La Chaine Météo : Pourquoi la montagne est-elle particulièrement touchée par le réchauffement climatique ?
Cyrille Duchesne : Précisons tout d'abord que si la variabilité climatique explique que certaines saisons soient plus enneigées que d'autres, la diminution de l'enneigement sur le long terme ne peut être expliquée que par la hausse des températures. Le réchauffement climatique observé dans les régions de montagne est plus important que dans les zones de plaines. Cela s’explique par la réduction progressive des zones couvertes de neige et de glace qui réfléchissent le rayonnement solaire. Elles laissent place à des zones de roches, où la chaleur s’emmagasine au lieu d’être restituée vers l’atmosphère. À l’échelle des Alpes, l’accroissement des températures annuelles a été de +2°C au cours du XXᵉ siècle alors qu’à l’échelle de la France, il a été de +1,4°C.
Le réchauffement observé s’accentue depuis les années 1980 avec actuellement une augmentation des températures de +0,5°C par décennie. Cette hausse équivaut à la différence de température que l’on observe entre deux altitudes séparées par 100 m de dénivelé. À ce rythme, il faudra monter de 100 m tous les 10 ans pour rester dans les mêmes conditions de température.
LCM : Combien de temps les stations de moyenne montagne pourront continuer à proposer des activités de sports d'hiver durant toute la saison ?
CD : Dans le massif du Mont-Blanc, la durée du manteau neigeux à moyenne altitude (entre 1200 et 1800 m) s’est réduite de près d’un mois depuis les années 1970. Dans un tel contexte de réchauffement climatique, une grande partie des stations de sports d'hiver de basse et moyenne altitude (en dessous de 1800 m) pourraient ne plus être viables économiquement après 2050. Selon un rapport de la Cour des Comptes de 2018, concernant les Alpes du Nord : "la viabilité économique de l'exploitation d'un domaine skiable suppose une durée minimale d'ouverture de 100 jours (généralement entre le 1er décembre et le 15 avril)." Ce rapport incite "à faire évoluer rapidement la gouvernance et le fonctionnement des domaines skiables pour s'adapter suffisamment tôt à un futur où le ski et les sports de neige ne seront plus leur unique ressource."
Un nouveau rapport, rendu public mardi 6 février 2024, épingle l'adaptation des stations françaises au réchauffement climatique. Bien que leur existence soit menacée par la hausse des températures, elles continuent de fonctionner sur le même modèle, dit la Cour.
LCM : Pourquoi l'enneigement est-il si aléatoire d’une saison à l’autre ?
CD : La variabilité de l’enneigement résulte de la variabilité naturelle du climat dans nos régions tempérées. Certaines saisons comme les hivers 2012-2013 et 2017-2018, les flux océaniques d’ouest à nord-ouest accompagnés d’air frais et humide dominent et permettent un bon enneigement des stations de montagne à toute altitude. Lorsque les régimes de sud à sud-ouest sont fréquents, les températures sont très douces et seules les stations ayant un domaine à haute altitude profitent de la neige (Tignes, Les Deux Alpes, Val-Thorens…). Enfin, certains hivers (2010-2011, 2013-2014), les anticyclones dominent et les perturbations sont peu fréquentes, si bien que la neige se fait rare à toute altitude.
LCM : À partir de quelle altitude les stations sont-elles hors de danger ?
CD : Actuellement, ce sont surtout les stations ayant un domaine skiable suffisant au-dessus de 1800 m qui s’en sortent le mieux et qui sont pour le moment hors de danger. Celles situées à moindre altitude, mais ayant suffisamment investi dans la production de neige artificielle, parviennent aussi à fonctionner correctement, mais on le voit avec la douceur actuelle, cela ne suffit pas. On peut citer le cas de quelques stations des Alpes du Sud où les précipitations sont nettement moins abondantes que sur la partie nord du massif alpin (Risoul, Orcières-Merlette, Montgenèvre par exemple).
LCM : La neige de culture est-elle une alternative viable ?
La neige de culture est une alternative viable à court terme, car elle permet de pallier manque de neige naturelle dans un contexte de réchauffement encore limité à +2°C depuis le début du 20ᵉ siècle. Après 2050, si le réchauffement atteint un scénario à plus de 3°C, la neige de culture ne suffira plus. De nombreuses stations de sports d’hiver ont d’ores et déjà investi dans le développement d'activités en toute saison : accrobranche, tyroliennes, luges sur rails, piscines couvertes, circuits de randonnées et pistes de VTT. Cela permet aux stations de générer de nouveaux revenus et aux vacanciers d’avoir une large gamme de loisirs tout en profitant de la montagne hiver comme été.
LCM : À quoi s’attendre d'ici à la fin du siècle ?
CD : Les projections climatiques réalisées par le GIEC, utilisant plusieurs scénarios de teneur en gaz à effet de serre dans l'atmosphère, indiquent une réduction de la durée d'enneigement de plusieurs semaines à horizon 2050, et une réduction de l'épaisseur moyenne hivernale de 10 à 40 %, en moyenne montagne. « A l'horizon 2100, dans le cas de fortes réductions des émissions de gaz à effet de serre et l'atteinte de la neutralité carbone planétaire d'ici 2050, les simulations indiquent une stabilisation des conditions d'enneigement au niveau atteint en milieu de siècle. En cas de fortes émissions, la réduction de l'épaisseur moyenne hivernale pourrait atteindre 80 à 90 %, avec une durée d'enneigement très limitée et un manteau neigeux régulièrement inexistant en moyenne montagne. »
LCM : La fonte des glaciers va-t-elle s’accélérer ?
CD : Sur la période 1970-2015, le glacier d'Argentière a perdu près de 20 % de sa surface, la Mer de Glace près de 10 % et les Bossons environ 7%. Le retrait est encore pire pour des glaciers plus petits et à basse altitude. Le rapport du GIEC sur les océans et les zones glacées, publié en septembre 2019 indiquait que les glaciers de la planète, ceux de basse altitude dans les Alpes, le Caucase ou la Scandinavie, pourraient perdre 80 % de leur volume d'ici à 2100 et beaucoup pourraient disparaître, même en limitant le réchauffement.
En conclusion, si la production de neige de culture permet à certaines stations de compenser le manque de neige naturelle, elle nécessite d’importantes réserves en eau pour la produire, et des températures froides. Dans un contexte où l'utilisation de ressources naturelles occupe une place de plus en plus importante dans l'approche des stations, cela pose de nouvelles problématiques. Par ailleurs, la hausse des températures réduit également la période d’utilisation des canons à neige puisqu’il faut que la température soit inférieure ou égale à -2°C pour pouvoir produire cette neige de culture. La plupart des stations de basse et moyenne altitude devront donc proposer une gamme d'activités la plus large possible pour pallier aux sports d'hiver dont la viabilité ne semble plus assurée au cours des prochaines décennies.