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Sécheresse 2023 : une situation préoccupante qui pourrait devenir habituelle dans un avenir proche
Depuis un an et demi, la France manque d’eau et l’année 2022 s’est caractérisée par des niveaux de sécheresse records au cours de l’été en raison du manque de pluie, des épisodes de fortes chaleurs et de canicule à répétition. Interview croisée sur cette situation à un mois du début de l'été météorologique, avec Cyrille Duchesne et Alexis Vandevoorde, deux experts de La Chaîne Météo.
La Chaîne Météo : Pouvez-vous nous rappeler quels sont les différents types de sécheresse ?
Cyrille Duchesne - Docteur en géographie et météorologue : On distingue 3 types de sécheresse :
- une sécheresse météorologique qui correspond à une absence prolongée de précipitations en un lieu donné.
- une sécheresse de surface ou sécheresse agricole (dite aussi édaphique) qui correspond à un déficit hydrique dans la couche superficielle du sol (entre 0 et 2 m de profondeur) et se traduit par un faible taux d’humidité des sols. Elle est redoutée par les jardiniers et les agriculteurs. Elle se produit lors de l’absence durable de précipitations, mais tient compte aussi du niveau des températures, du vent et de la géologie des sols.
- une sécheresse hydrologique qui survient lorsque les réserves hydrologiques (lacs, rivières et nappes phréatiques) présentent un déficit important de leur niveau. Elle se produit principalement après des hivers secs où la recharge en eau des nappes souterraines n'a pu se faire correctement. Les arrêtés préfectoraux concernant les restrictions d'eau sont décidés après constatation de cette sécheresse hydrologique.
Comment expliquer la situation de sécheresse hydrologique actuelle ?
CD : Si ce mois de mars 2023 a été bien arrosé, à l’exception des régions méditerranéennes où la sécheresse agricole persiste, la sécheresse hydrologique reste d’actualité puisqu’une majorité de réserves en eau souterraines présentent un niveau inférieur à la normale. Cette situation est le résultat d’un été 2022 particulièrement sec, et de deux saisons hivernales 2022 et 2023 déficitaires en précipitations. Avec un déficit de l’ordre de -25% à l’échelle du pays l’hiver dernier, faisant suite à un hiver 2021-2022 déjà peu arrosé, la situation est très critique. Il faut espérer des mois d’avril et mai bien arrosés et pas trop chauds pour que les besoins en eau dans le domaine agricole, et pour les usages domestiques, ne soient pas trop importants avant l’été.
Quelles régions sont les plus touchées et risquent de l'être dans les prochains mois ?
CD : Les régions méditerranéennes sont les plus touchées par la sécheresse puisqu’elles subissent une sécheresse météorologique particulièrement durable depuis le début de l’hiver, mais aussi une sécheresse hydrologique importante depuis un an et demi. Le Roussillon est l’une des régions les plus touchées avec 307 millimètres de pluie recueillis au cours de l’année 2022 pour une moyenne de 558 mm, soit un déficit proche de 50%. La situation ne s’arrange pas en 2023 puisqu’en 3 mois, il est tombé 78 mm au lieu des 156 mm habituels.
En région PACA, le déficit pluviométrique est important également. À Marignane, il est de -35% sur l’ensemble de l’année 2022 avec 336 mm au lieu de 516 mm. La situation s’est nettement aggravée au début de l’année 2023 puisqu’il n’est tombé que 19,5 millimètres d’eau depuis le 1er janvier 2023, soit un déficit de 82% ! Une situation presque similaire à Nice avec un déficit pluviométrique de 72%.
Sur ces régions méditerranéennes, d’importantes restrictions d’eau concernent déjà les Pyrénées-Orientales, l’Aude, le Var et les Bouches-du-Rhône dont une partie du département est en niveau rouge (crise).
Même si nos prévisions saisonnières envisagent des épisodes de précipitations dans le sud-est les mois prochains, la situation hydrologique restera très tendue. Les épisodes de chaleur précoces et parfois intenses et la sécheresse estivale qui font partie du climat méditerranéen font craindre une situation très compliquée au cours de l’été prochain. Sans compter que la saison touristique battra son plein avec des besoins en eau accrus.
Les précipitations ne sont pas toujours dites "utiles", comment l'expliquez-vous ?
Alexis Vandevoorde - Ingénieur en production de données météo : Toute pluie a un degré d'efficacité dans son processus d’alimentation des milieux aquatiques. Après un épisode pluvieux, une partie de l’eau tombée au sol est absorbée par la végétation puis retransmise à l’atmosphère par évapotranspiration. Cette eau ne bénéficie pas au sol. L’autre partie de l’eau ruisselle et s’infiltre dans le sol en permettant potentiellement la recharge des nappes phréatiques : elle constitue la pluie efficace. Cette infiltration est conditionnée par le type de sol, par sa perméabilité, mais également par l’intensité des précipitations.
Ainsi, en été, nous sommes davantage confrontés à des pluies orageuses, souvent intenses, mais brèves, favorisant le ruissellement, mais pas l’infiltration sur des sols qui sont déjà asséchés et donc plus difficilement perméables. La végétation en demande à cette période de l’année absorbe la plupart de l’eau, rendant les pluies souvent inefficaces. Il faut alors attendre l’automne et l’hiver (de mi-octobre à mi-avril) avec ses précipitations plus modérées et régulières pour espérer une véritable recharge de notre stock d’eau.
Quelles sont les conséquences visibles du réchauffement climatique ?
AV : Le réchauffement climatique s’observe déjà : la température de la surface du globe s’est élevée de 1,7°C en France métropolitaine par rapport à la période préindustrielle, à un rythme sans précédent. Cette augmentation des températures a une répercussion non négligeable sur le cycle de l’eau dans le monde et en France. Selon le Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, la ressource en eau renouvelable, c'est-à-dire réellement utile à nos cours d’eau et nappes phréatiques, a diminué de 14%, en moyenne annuelle, entre les périodes 1990-2001 et 2022-2018. Moins de pluie en automne pendant la période de réalimentation du stock d’eau et augmentation de l’évapotranspiration tout au long de l’année expliquent une réalité qui touche directement notre quotidien : les restrictions d’eau sont plus fréquentes et généralisées, touchant plus de 30% du territoire en moyenne chaque année entre 2017 et 2020.
À partir des données d’humidité des sols depuis 1959, nous avons pu établir une chronologie des sécheresses de surface observées en France et représentées sur ce graphique par des cercles plus ou moins larges selon l’intensité et la durée de la sécheresse. L’année 1976, connue à l’époque pour sa sécheresse historique et « ovni climatique » au sein d’une période où les sécheresses étaient peu fréquentes, s’est répétée depuis. Depuis 2003, 13 années sur les 20 ont observé une sécheresse notable. Avant cette année butoir qui marque une aggravation, seulement 6 sécheresses ont marqué notre climat en 40 ans. Leur fréquence est donc beaucoup plus importante et il ne s’agit que d’un avant-goût de ce que les modélisations envisagent pour les prochaines décennies.
Doit-on s'habituer à ces situations ?
Le 6ème et dernier rapport d’évaluation du Groupe Intergouvernemental d’Experts sur l’Évolution du Climat (GIEC) atteste d’une augmentation des extrêmes météorologiques conduisant à une aggravation des risques. Les sécheresses s’annoncent plus fréquentes, plus longues et généralisées que ce que nous avons pu observer par le passé.
À l’horizon 2050, les données transmises par le GIEC dans le cas d’un scénario moyen d’émission de gaz à effet de serre font état :
- D’une augmentation de la température de 1 à 2,5°C par rapport à la période 1995-2014, avec une hausse plus importante durant la période estivale
- D’une nette diminution de la quantité de précipitations du printemps à l’automne, avec des hivers potentiellement plus pluvieux, mais soumis à une incertitude marquée,
- D’une hausse du nombre de jours de précipitations intenses, induisant une répartition plus hétérogènes des pluies, moins régulières et donc moins efficaces pour la recharge des milieux aquatiques,
- D’une augmentation de l’évapotranspiration directement liée à la hausse de la température
- D’un manteau neigeux moins important en montagne avec une fonte plus précoce compte tenu d’hiver moins froid diminuant le réservoir d’eau utilisable jusqu’alors en saison estivale
Chacun de ces éléments contribueront à diminuer le stock d’eau de nos milieux aquatiques et limiteront la recharge de nos nappes phréatiques. Le risque de sécheresse annuelle deviendra alors plus important que ce que nous avons pu connaître au cours des dernières décennies et notamment à mesure que l’on se dirige vers le bassin Méditerranéen et la Péninsule Ibérique. Durée et intensité de ces épisodes secs deviendront très probablement records, c'est-à-dire encore jamais observées dans l’ère moderne, à l’image des autres paramètres météo qui caractériseront notre nouveau climat.